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Macroéconomie

Déficits, Dette et Dénouement

Cet article analyse la fragilité du système financier mondial actuel, centré sur le dollar. Il explique comment les déficits structurels et la dette insoutenable des États-Unis préparent l'émergence d'un nouvel ordre monétaire multipolaire, où l'or, le Bitcoin et la Chine joueront un rôle déterminant.

Publié le 17 September 2025

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Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le dollar américain règne en maître sur le système financier international. Cette hégémonie a conféré aux États-Unis une puissance et une influence inégalées, mais elle a aussi engendré des déséquilibres profonds et des paradoxes structurels. Aujourd'hui, alors que la dette américaine atteint des sommets vertigineux et que le monde devient de plus en plus multipolaire, les fondations de cet ordre monétaire semblent se fissurer.

Ce dossier propose une analyse en trois temps pour comprendre la situation actuelle et les futurs possibles. Nous explorerons d'abord les raisons structurelles qui condamnent les États-Unis à un double déficit chronique, un phénomène expliqué par le dilemme de Triffin. Ensuite, nous nous projetterons sur les cinquante prochaines années pour examiner la trajectoire budgétaire insoutenable du pays, une véritable bombe à retardement. Enfin, nous analyserons le rôle potentiel que des actifs alternatifs comme l'or et le Bitcoin, ainsi que de nouvelles puissances comme la Chine, pourraient jouer dans l'émergence d'un nouveau système financier mondial.

Partie 1 : Le Dilemme Structurel Américain : Ancré dans le Privilège du Dollar

Les États-Unis présentent régulièrement un double déficit, ou twin deficit : un déficit budgétaire (le gouvernement dépense plus qu'il ne perçoit d'impôts) et un déficit courant (le pays importe plus de biens et services qu'il n'en exporte). Cette situation, loin d'être une coïncidence, est la conséquence directe du rôle du dollar comme principale monnaie de réserve mondiale.

Le dilemme de Triffin : une monnaie nationale au service du monde

Formulé dans les années 1960 par l'économiste Robert Triffin, ce dilemme expose un conflit d'intérêts fondamental. Pour que le commerce mondial fonctionne, les autres pays ont besoin de dollars pour leurs échanges et leurs réserves de change. Pour fournir ces dollars, les États-Unis doivent obligatoirement dépenser plus qu'ils ne gagnent vis-à-vis de l'extérieur, et donc entretenir un déficit courant. C'est la seule façon d'injecter des liquidités dans le système.

Cependant, en inondant le monde de leur monnaie, les États-Unis risquent à terme de saper la confiance dans la valeur du dollar. Ce dilemme crée une tension permanente : les États-Unis doivent à la fois assurer la liquidité mondiale, ce qui les pousse au déficit, tout en maintenant la confiance dans leur monnaie, ce qui exigerait plus de rigueur.

Un "privilège exorbitant" à double tranchant

Ce statut confère aux États-Unis ce que Valéry Giscard d'Estaing a appelé un "privilège exorbitant". La demande mondiale constante pour le dollar et les actifs libellés en dollars (comme les bons du Trésor) permet au gouvernement américain de financer ses déficits à très bas coût. Le déficit courant des États-Unis est ainsi recyclé par les pays excédentaires (comme la Chine ou les pays pétroliers) qui utilisent leurs dollars pour acheter de la dette américaine, finançant en retour le déficit budgétaire du pays. Les deux déficits se nourrissent mutuellement dans un cycle qui semble sans fin.

L'impact sur le dollar et le secteur manufacturier

Ce privilège a cependant un revers de la médaille. La demande mondiale de dollars maintient sa valeur à un niveau artificiellement élevé. Un dollar fort rend les exportations américaines plus chères et les importations moins chères. Cette dynamique pénalise lourdement le secteur manufacturier américain, qui peine à rester compétitif. À long terme, ce phénomène a contribué à une désindustrialisation significative et à la délocalisation de millions d'emplois, créant une économie de plus en plus orientée vers les services et la consommation financée par la dette. Le rôle du dollar, qui bénéficie à la finance de Wall Street et au gouvernement de Washington, se fait donc au détriment de l'industrie du "Main Street".

Partie 2 : La Bombe à Retardement Fiscale : Une Trajectoire Budgétaire Insoutenable

Si le système global permet aux États-Unis de financer ses déficits, il masque une crise budgétaire interne qui s'aggrave d'année en année. Les projections à long terme, notamment celles du Bureau du Budget du Congrès (CBO), dessinent une trajectoire financière insoutenable, fondée sur des problèmes structurels profonds que la classe politique semble incapable de résoudre.

Les Moteurs d'une Dette Croissante : Démographie et Santé

La principale menace provient des dépenses obligatoires (entitlements), principalement la Sécurité Sociale (Social Security) et l'assurance santé pour les personnes âgées (Medicare). Ces programmes sont considérés comme le "troisième rail" de la politique américaine : y toucher, c'est risquer une mort politique certaine.

  • Le Choc Démographique : Le vieillissement de la génération du baby-boom augmente drastiquement le nombre de retraités par rapport au nombre de travailleurs actifs. Le système de retraite, fonctionnant par répartition, voit son équation mathématique se briser. Mécaniquement, les dépenses de retraites et de santé pour les seniors sont vouées à exploser en pourcentage du PIB.
  • L'Inflation des Coûts de Santé : Au-delà de la démographie, les coûts des soins de santé aux États-Unis, largement supérieurs à ceux des autres pays développés, augmentent structurellement plus vite que l'inflation. Le système, basé sur des assurances privées complexes, des coûts administratifs élevés et des prix pharmaceutiques non régulés, est un gouffre financier.

L'Impossibilité Politique d'Inverser la Tendance

Inverser cette trajectoire exigerait des changements radicaux, mais ceux-ci sont considérés comme politiquement irréalisables dans le contexte actuel de polarisation extrême. Aucun parti n'a le courage politique d'initier de telles réformes, craignant d'être puni lors des prochaines élections. Le "privilège exorbitant" du dollar agit comme un anesthésiant, permettant de repousser la crise en continuant à emprunter à bas coût. Tant que le monde achète la dette américaine, il n'y a aucune pression immédiate pour agir, laissant la bombe à retardement fiscale continuer son compte à rebours.

Partie 3 : Vers un Nouvel Ordre Monétaire ? La Quête d'Alternatives

Face aux déséquilibres croissants du système actuel et à l'impasse budgétaire américaine, la quête d'alternatives pour ancrer un futur ordre financier gagne en pertinence. Cet avenir se dessine probably comme un paysage multipolaire, impliquant des puissances établies et montantes, ainsi que des actifs anciens et nouveaux.

Le Retour de l'Or et l'Émergence du Bitcoin

Dans un monde de plus en plus méfiant, le rôle d'actifs apolitiques et de réserves de valeur ultimes est redécouvert. L'or, avec ses millénaires d'histoire, est le candidat naturel. Il ne s'agirait pas d'un retour à un étalon-or strict, trop rigide pour l'économie moderne, mais plutôt de son utilisation comme actif de règlement neutre entre les banques centrales, une ancre de confiance dans un système potentiellement instable. Le Bitcoin, souvent qualifié d'"or numérique", transpose ces caractéristiques de rareté et de neutralité dans le monde digital. Sa décentralisation et sa résistance à la censure en font un actif de protection unique contre la dévaluation monétaire et le contrôle étatique. Malgré sa volatilité, il s'impose progressivement comme une réserve de valeur alternative, une sorte d'assurance "anti-système" qu'une part croissante d'investisseurs et peut-être même quelques États pourraient vouloir détenir en complément de l'or.

La Chine : Fer de Lance de la Dédollarisation

La Chine est l'acteur le plus déterminé à contester l'hégémonie du dollar, et sa stratégie se déploie sur plusieurs fronts de manière très concrète. Le premier axe est la dédollarisation de ses réserves. Concrètement, Pékin réduit depuis plusieurs années et de manière continue sa détention de bons du Trésor américain, se délestant ainsi de la dette de son principal rival géopolitique. Parallèlement, la Banque Populaire de Chine est devenue le plus grand acheteur d'or officiel au monde, accumulant des tonnes de métal jaune mois après mois. Cette substitution n'est pas anodine : elle signifie remplacer un actif financier (la dette américaine), potentiellement vulnérable à des sanctions, par un actif physique et neutre (l'or) détenu sur son propre territoire. Le gel des réserves russes en 2022 a servi d'électrochoc, montrant à Pékin que la dépendance au dollar était une faiblesse stratégique majeure.

Le second axe est la promotion active du Yuan. La Chine encourage l'utilisation de sa monnaie dans le commerce international, notamment avec la Russie, l'Iran et les pays du Golfe pour les achats de pétrole ("pétroyuan"). Le projet de yuan numérique (e-CNY) est central dans cette stratégie : à terme, il pourrait permettre des transactions internationales qui contournent complètement le système SWIFT, l'infrastructure de messagerie bancaire contrôlée par l'Occident. Cependant, le yuan fait face à des obstacles majeurs : les contrôles de capitaux stricts de la Chine et le manque de confiance dans un système financier piloté par un gouvernement autoritaire freinent son adoption comme véritable monnaie de réserve globale.

Quel Avenir pour les États-Unis ?

Face à ces défis, plusieurs scénarios sont possibles pour les États-Unis. Ils peuvent tenter de maintenir le statu quo le plus longtemps possible, en utilisant leur puissance militaire et technologique pour préserver un ordre qui s'érode. Une autre option serait de mener une transition contrôlée vers un "Bretton Woods II", en acceptant un système basé sur un panier de devises pour gérer leur déclin relatif de manière ordonnée. Le pire scénario serait celui de l'inaction, où la crise de la dette interne finirait par provoquer une crise de confiance mondiale dans le dollar, forçant un ajustement chaotique et brutal.

Conclusion Générale

Le système financier mondial est à un tournant. L'ordre centré sur le dollar, bien que résilient, montre des signes d'épuisement. L'avenir ne verra probably pas un actif unique en remplacer un autre, mais plutôt l'émergence d'un système hybride et multipolaire. Dans ce nouvel ordre, le dollar coexisterait avec d'autres monnaies (euro, yuan), tandis que des actifs neutres comme l'or et le Bitcoin joueraient un rôle croissant en tant qu'ancres de confiance et réserves de valeur stratégiques. Nous entrons dans une nouvelle ère de compétition monétaire dont l'issue redéfinira les équilibres de pouvoir mondiaux.